" El Sicario, Room 164 (2010), a pas mal fait parler de lui à travers son parcours en festival. Il s’agit du témoignage d’un haut gradé du trafic de drogue à Ciudad Juárez, au Mexique. Pendant vingt ans, il a servi le cartel, pratiquant assassinats ciblés, enlèvements, tortures jusqu’à saturation. Constamment sur ses gardes, gavé d’alcool et de cocaïne, il décide de devenir clean. Commence alors pour lui une descente aux enfers. Ses collègues se moquent de lui, il est rétrogradé, le boss ne lui confie plus que des tâches humiliantes de ramassages de petites dettes dans des bourgades lointaines… Le type décide alors de prendre la fuite avec femme et enfants, déclenchant aussitôt un contrat contre lui et sa famille.
A l’image, il parle, le visage caché sous un voile noir, un cahier posé sur les genoux, dessinant des croquis ou écrivant des phrases au fil de son récit émaillé de scènes horrifiques. Il est notamment question du traitement réservé à des traîtres qui sont plongés vivants dans de l’eau bouillante, les parties brûlées étant découpées à vif par des médecins avant retour dans le bouillon. Le narcotrafiquant repenti, tombé en religion (la vida loca devient la mala vida, la belle vie contre la mauvaise), implique dans ses propos un Etat mexicain intégralement corrompu et une police gangrenée par les cartels : sur 200 diplômés dans une promotion, 50 sont des élèves financés, choyés dès le lycée par la mafia.
«Cet homme, je l’aime bien d’une certaine manière, et c’est ce que je déteste le plus dans ce film», déclarait le cinéaste dans un entretien à un webzine. Le trouble suscité un peu partout par El Sicario, Room 164 tient à ce mouvement de répulsion-adhésion que provoque le caractère volubile puis franchement exalté de la crapule en fuite. On découvre chez lui le terrifiant désir de soumission à une autorité, d’abord aux ordres du «patron», puis du seigneur J.-C."
Didier Péron