« Est-ce que tu es prête à vider ton sac», demande Agnès , Varda à Jane Birkin. « Ah oui, sans problème, ou i!» Et comme dans l'univers de Varda — le plus honnête, le plus terrible qui soit— on fait toujours ce que l'on dit, Jane éparpille aussitôt sur le sol les objets qu'elle trimballe avec elle. «Alors, demande-t-elle, tu as appris quelque chose sur moi, maintenant que tu as vu mon sac ? » Et de conclure : « Même si on déballe tout, on ne dévoile pas grand-chose. »Cette réplique, en fait, résume toute la démarche si originale d'Agnès Varda. C'est quoi, généralement, un portrait de star ? Une interview languissante, des extraits de films paresseux, un commentaire gnagnasson ou prétentieux. Du déballage...Ce que Varda a tenté et (presque) entièrement réussi, c'est du « dévoilage ». Comment deviner un être que l'on aime et que l'on admire ? En l'écoutant, certes, mais, mieux encore, en le rêvant. L'imaginaire, étroitement associé au réel, c'est la méthode Varda. C'est toujours le même « documenteur » qu'elle poursuit, seule approche possible et rigolote de la vérité.Donc, durant quatre-vingt-quinze minutes, Agnès V. « cristallise » sur Jane B.
Elle la voit en héroïne de film noir, en muse romantique, en Vénus du Titien, en Ariane, ce qui nous vaut l'admirable séquence où Jane, dans un labyrinthe de fête foraine, dévide imperturbablement son fil, poursuivie par le Minotaure qui n'est autre que la caméra.Elle la voit en Stan Laurel, aussi et, pour le coup, c'est une semi-réussite : car Jane, impressionnée par sa partenaire Laura Betti, n'est que l'ombre d'elle-même. « J'étais maladroite et cette maladresse m'a donné une telle détresse qu'à la fin j'ai compris celle de Laurel. » Les derniers plans de cette séquence inégale sont, en effet, très beaux.Jane B. par Agnès V. est un film sur les tensions et l'attention. Une lutte passionnée, donc passionnante, entre un hérisson fragile (c'est Agnès V.) et une biche en acier (c'est Jane B.). Cette lutte amicale dans un but commun — le film ! — ne va pas sans faiblesses, sans longueurs, dues sans doute à des concessions mutuelles. Mais qu'importe ! Ces imperfections ressemblent aux rides qui trahissent, non les défauts, mais la vie d'un visage. A cet égard, Kung Fu Master est— pour moi — un film nettement moins ridé, mais plus « lifté ».Le plus souvent, Agnès V. et Jane B. sont émouvantes et drôles, alternativement. B, lorsque l'harmonie les réunit, le film devient superbe : un mouvement de caméra savant d'Agnès V. dévoile les coulisses de son tournage, tandis que Jane B. chuchote des mots d'amour pour les techniciens qui savent l'aider si bien.Et puis, face à un miroir qui la multiplie, dans un silence troublé parle cliquetis d'un métronome, Jane, ondulant légèrement, murmure des paroles d'une chanson : « My Heart belongs to Daddy. » Hommage à Marilyn Monroe dont elfe avait appris la mort, sur une plage, dans un journal qui, poussé par le vent, avait glissé jusqu'à elle."
Pierre Murat, 2/3/1988